« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 8 mai 2015

#Généathème : M comme militaire

Jean Maurice Borrat-Michaud est un des derniers représentants Suisse de ma généalogie [ 1 ]. Étant Française, je n'ai pas eu accès à l'état civil suisse. Mais je le connais grâce à l'AVEG (Association Valaisanne d’Étude Généalogique) qui m'a fourni l'ascendance complète de cette branche, basée sur leurs relevés - qu'elle en soit remerciée.

Jean Maurice est donc né en 1785 à Champéry, dans le Valais suisse (dizain [ 2 ] de Monthey). En tapant son patronyme dans le moteur de recherche de Geneanet, un article de Louiselle Gally de Riedmatten est ressorti [ 3 ]. D'après cette source, Jean Maurice est enregistré comme soldat valaisan au service de l'empereur Napoléon, sous le nom de Borrat (comme son frère aîné Jean Louis né en 1783). Cet ouvrage recense les soldats du Bataillon valaisan qui ont pu être identifiés dans les registres baptismaux (hors officiers).

En 1798, le Valais (région bilingue de Suisse à la fois de langue française et allemande) est occupé par l'armée française. En 1802 il devient une "République libre et indépendante", sous le protectorat des républiques française, cisalpine et helvétique; sa capitale est Sion. Dès cette époque, Napoléon pense à recruter des Valaisans, qui viendraient renforcer l'Armée française. Ce n'est en fait qu'en Octobre 1805 (16 Vendémiaire an 14) qu'une Capitulation (c'est-à-dire un contrat) est signée entre l'Empire français et la République suisse pour fournir un Bataillon d'environ 660 hommes, que l'on réunirait à Turin. 

Mais le Valais est assez pauvre (en particulier de dizain de Monthey qui se trouve dans une grande détresse économique) et fournit déjà des hommes à d'autres unités suisses en Europe : le recrutement s'avère difficile. Les recruteurs utilisent alors tous les moyens pour remplir leurs contingents : l’enrôlement se fait parfois "sur un verre de vin", quand ce n'est pas sur des méthodes plus radicales encore (mise aux fers ou au secret); on considère que près de la moitié des recrues est enrôlée sous la contrainte. Cependant cela ne suffit pas : les effectifs sont alors réduits à cinq Compagnies de 83 hommes chacune. Et c'est finalement à Gênes, un an plus tard, que l'on commence à voir arriver par petits groupes des contingents de Valaisans.

La formation du Bataillon s'y déroule de septembre à novembre 1806. Jean Maurice s'y engage le 13 novembre 1806, sous le n° de matricule 144, à l'âge de 21 ans. Le Bataillon est formé à la fin du mois de novembre, sous le commandement de Charles de Bons (nommé dès le 10 juillet 1806).

L'uniforme est composé d'un habit de drap rouge foncé, avec un collet, revers et parements blancs. La doublure, la veste et les culottes sont également de couleur blanche. Le rouge était une des couleurs traditionnelles des troupes suisses au service français, et le rouge et le blanc celles de la République valaisanne. Des boutons jaunes émaillent l'uniforme, gravés des mots Bataillon valaisan au centre et Empire français sur le contour. L'uniforme est complété par un shako français de feutre noir (couvre-chef en forme de cône tronqué avec une visière) à bande du haut, bourdalou (tresse) et renforts en V de cuir noir orné d’un aigle de laiton. L'équipement et l'armement seront identiques à ceux des soldats de l'infanterie de ligne française.
Uniforme de grenadier et officiers du Bataillon valaisan, © D. Davin

Le Bataillon est, évidemment, composé uniquement de Valaisans. Les engagés doivent être âgés au minimum de 18 ans et au maximum de 40. La taille minimum requise est de 1,68 m (5 pieds 2 pouces). Aucune infirmité n'est tolérée. L'hygiène buccale est aussi contrôlée. Ils prennent un engagement de 4 ans. A l'issue, ils pourront quitter le Bataillon ou en contracter un nouveau. Le prix d'engagement est de 180 francs par recrue.

Ces troupes servent une puissance étrangère, tout en restant soumises à la juridiction de l’État d'origine : ils ont donc un statut assez proche de l'immunité diplomatique, avec leur propre justice, leur liberté de culte et leurs propres officiers (contrairement aux mercenaires, par exemple).

Selon l'article de Louiselle de Riedmatten, Jean Maurice est dit baptisé à Val d'Illiez (ville distante de moins de 4 km). A noter : aucune recrue ne déclare être de Champéry (d'ailleurs elle affirme qu'il n'existe plus de registre de baptême entre 1782 et 1786). Cependant, après vérification, les sources ne sont pas révélées très fiables : le soldat pouvait ainsi donner comme lieu de naissance le chef-lieu du dizain et avoir été en réalité baptisé dans une autre paroisse. 16 recrues originaires de Val d'Illiez s'engagent dans le Bataillon (selon l'estimation, il y a entre 11 et 12% de la population du dizain de Monthey nés entre 1782 et 1786 qui s'engagent).

Le 29 mai 1808, le Bataillon quitte Gênes pour Perpignan. Il y arrive le 13 juillet. Mais il n'y reste pas puisqu'il prend aussitôt la direction de l'Espagne. Il y est incorporé dans l'armée de Catalogne, au 7ème Corps.

Lors du siège de Gérone le Bataillon perd un tiers de ses effectifs. Les batailles se succèdent : Bascara (11 avril 1809), La Jonquière (octobre 1810). Pierre Blanc devient le nouveau chef de corps en février 1810. Peu de sources décrivent précisément la vie de corps, selon Louiselle Gally de Riedmatten, et encore moins s'intéressent à la vie de ces soldats, de leurs origines et de leur destin à l'armée (hormis les "rolles ou revues de compagnies" qui recensent les soldats, lorsqu'ils existent ou ont été conservés; ce qui n'est pas toujours le cas). 

De fait, difficile de savoir pourquoi Jean Maurice s'est engagé : emprise de l'alcool, après une dispute avec les parents ou la petite amie, échapper au mariage ou aux ennuis judiciaires, ou encore motif économique (subvenir à ses besoins ou à ceux de sa famille, fuir la misère du pays...), envie d'être soldat, de voir du pays ?

Fin 1810, alors que le Bataillon est cantonné à La Jonquière, les soldats apprennent qu'ils font désormais partie intégrante de l'Empire français et qu'ils doivent prêter serment de fidélité à l'Empereur. Le Valais vient en effet d'être annexé à l'Empire, formant le nouveau département du Simplon (par décret du 12 novembre 1810). Ce département existera jusqu'en 1813 seulement. Devenu français, une troupe étrangère n'a plus lieu d'être : le Bataillon valaisan est dissous le 16 septembre 1811 et intégré au 11ème régiment d'infanterie légère nouvellement créé. Il quitte l'Espagne à destination de l'Allemagne.

On ne sait pas à quelle date Jean Maurice quitte le Bataillon. Est-il parti à la fin de son engagement de 4 ans ? On constate toutefois que 21 % des enrôlés ont été congédiés avant le délai légal, pour inaptitude, blessure ou plus rarement pour conduite morale douteuse. D'autres sont rayés du contrôle des troupes, prisonniers ou déserteurs. On estime que, en fait, la durée moyenne passée au corps est d'un an et huit mois seulement (chiffre à relativiser, car la mort d'un grand nombre de soldats - 40% de l'ensemble du Bataillon en 5 ans - fait baisser considérablement cette durée). Rares sont ceux qui ont prolongé leur contrat. La brève période d'engagement suggère sans doute que le service dans le Bataillon valaisan n'est pas envisagé comme une carrière militaire à suivre, mais plutôt comme une étape de courte durée, une expérience momentanée. De retour on pays on "reprend le cours de sa vie", son métier (ou celui de son père).

Une chose est sûre, Jean Maurice se marie à Val d'Illiez le 3 décembre 1811 avec Milleret Patience. Soit il est rentré de façon temporaire, soit de façon définitive. Sa fille Marie Justine naît le 14 novembre 1814 à Champéry. Elle est la mère de Joseph Auguste (le père n'est pas connu).

J'ignore tout du reste de sa vie, sinon qu'il s'éteint à Champéry le 8 décembre 1848.


[ 1 ] Il est le grand-père de Joseph Auguste, celui qui a franchi la frontière et s'est installé en Haute-Savoie. C'est donc l'arrière-grand-père de Jean François Borrat-Michaud, autre soldat bien connu de ma généalogie dont je suis le parcours pas à pas lors de la Grande Guerre.
[ 2 ] Dizain : division territoriale du Valais, en quelque sorte l'ancêtre du district actuel.
[ 3 ] Article paru dans Vallesia (le bulletin annuel de la Bibliothèque et des Archives cantonales du Valais, des Musées de Valère et de la Majorie)


2 commentaires:

  1. Bonsoir,
    Merci pour votre commentaire sur mon article concernant mon ancêtre soldat de Napoléon. Les historiques de régiments sont une piste à laquelle je n'avais pas pensé (pour un soldat de Napoléon). J' y jetterais un oeil dès que j'aurais plus de temps (sinon je ne ferais rien d'autre). Mes nouvelles recherches aboutiront peut-être un jour à un nouvel article. Merci pour la nouvelle piste !

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    1. Avec plaisir ! Bonne chance pour vos recherches.
      Mélanie

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