« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

lundi 22 août 2016

La petite boucherie de Jean

Jean Avalon vivait à Entraygues (Aveyron), à la fin du XVIIème siècle. Il était marié et avait trois enfants : Louis, Bonne et Bonne (sic). Il était boucher de profession. Alité "d'une certaine maladie corporelle de laquelle il croit mourir" mais jouissant toutefois de ses bons sens et entendements et d'une parfaite mémoire, bref sentant sa fin devenir proche, il avait fait venir le notaire pour rédiger son testament (décembre 1700). Il ne voulait pas, comme sa défunte épouse Bonne (re-sic), mourir ab intestat, c’est-à-dire sans avoir réglé ses affaires (et éviter les discussions entre ses enfants) en les couchant sur un testament en bonne et due forme. A son fils, trop jeune, il avait préféré désigner Simon Mommaton son gendre (époux de Bonne l’aînée), comme légataire universel. Tout était en ordre. Moins de quinze jours plus tard, il s’était éteint en son logis. Lors de son enterrement, il fut enseveli dans le tombeau de ses prédécesseurs au cimetière Saint-Georges, comme il le souhaitait.
A chacun de ses enfants il a légué 4 000 livres, ce qui représente une somme assez conséquente et nous laisse deviner une certaine aisance chez ce boucher d’Entraygues.

Trois mois plus tard, Simon utilise à son tour les services du notaire afin de régler ladite succession de feu son beau-père (avril 1701). Les possessions de Jean sont divisées en quatre lots : trois pour ses enfants et le dernier pour Simon son gendre.
Le document notarial qui nous renseigne sur ces faits n’est pas un inventaire après décès proprement dit (où toutes les possessions sont scrupuleusement notées et décrites (voir à ce sujet l’article d’Elise), mais les lots sont suffisamment bien détaillés pour nous donner une idée des possessions du boucher.

On peut y distinguer :
  • Les immeubles :
- deux maisons : une "rue droite" à Entraygues, l'autre "au devant de la porte supérieure de ladite ville",
- une "petite boucherie" (rue Droite), 

Entraygues, rue Droite © Delcampe
- une petite étable et grange,
- des chais,
- un "entier domaine" situé dans la paroisse voisine de Notre-Dame de Bez.
  • Les terres :
- des jardins,
- des vignes,
- plusieurs « chastaignal » (= châtaigneraies ?),
- des champs,
- des bois,
- des chanvriers (où on cultive le chanvre),
- des prés.
  •  Des meubles :
- plusieurs dressoirs,
- une "garderobe",
- des tables hautes,
- une petite table se fermant à deux battants,
- une "petite vielle table",
- des tabourets,
- une vieille escabelle (= siège bas, généralement à trois pieds),
- un banc,
- plusieurs maies à pétrir le pain,
- des "lits garnys" et un bois de lit,
- plusieurs caisses fermant à clé et de "vieilles caisses". 
  • Le linge, la vaisselle et les ustensiles :
- des chemises d'homme,
- "les habits du défunt à l'exclusion d'un manteau" -  ledit manteau est en fait dans un autre lot,
- des linceuls (= draps),
- une couverte (= couverture),
- des nappes,
- des serviettes,
- des landiers de fer (= chenets de cheminée) et une grille de fer (sans doute pour la cuisson dans la cheminée),
- des poêlons, poêle à frire, poêle à feu,
- des bassinoires (pour réchauffer le lit avant de s’endormir),
- petit mortier en métal à pilon,
- une cuillère de fer et une autre de cuivre,
- une lampe,
- de la vaisselle (sans précision),
- des pots de fer et d’étain, un pot de métal,
- des armes : un pistolet de ceinture et un vieux fusil,
- des cruches à huile,
- des chandeliers de laiton,
- des livres (si je lis correctement le document).
  •  Des outils :
- une faux pour couper les buissons,
- des fourches de fer, 
- des fessoirs (= arrosoir ou houe ?), 
- un panier,
- un tamis,
- une hache,
- un pressoir pour le suif,
- un peigne à peigner le chanvre,
- une corde,
- un crible (= tamis) à blé,
- un coin de fer à fendre le bois,
- des planches.
  •  Du bétail et des marchandises :
- des moutons et brebis avec leur laine,
- 144 livres d'étain,
- du cuivre pour 110 livres,
- une charrette de foin et de chanvre,
- un grand lard,
- de l’huile de noix,
- du seigle.
  • Les instruments spécifiquement liés à la boucherie :
- les "balances pour la boucherie",
- un "grand coffre qui est dans ladite boucherie",
- les couteaux de la boucherie,
- un tour de fer à tourner la broche,
- des poids, dont un lot de poids de balance se fermant dans lequel il y en a deux autres petits,
- un entonnoir de fer blanc,
- des tonneaux,
- des barriques,
- un seau.
  • Et enfin des archives :
- 45 documents dans le 1er lot,
- 44 documents dans le 2ème,
- 29 documents dans le 3ème,
- et 55 documents dans le dernier lot.
Soit au total : 173 documents (sans compter ceux passés pour acquérir les biens transmis).
Ces documents sont des obligations, des promesses, des transports.
  • Des éléments que je n'ai pas réussi à identifier (ou déchiffrer) :
- caral (cazal ?),
- nogarelle (nogarette ?),
- noguier (= un nogue : un baquet ?),
- cuissin à portefaix.

Une estimation de chaque lot a été faite :
- lot 1 : valeur 3620 livres six sols;
- lot 2 : 3622 livres 8 sols;
- lot 3 : 3615 livres 12 sols 8 deniers;
- lot 4 : 3448 livres. Celui-ci (dévolu au gendre, rappelons-le) est un peu moins élevé car ledit gendre a touché la constitution dotale de 500 livres de Bonne Noel sa belle-mère, promise dans son contrat de mariage et qui lui appartient de plein droit, ce qui fait la différence.
Soit un total d’un peu plus de 14 305 livres.

Il y a donc plusieurs maisons, garnies de meubles, de vaisselle, de linge...; le tout plutôt en bon état visiblement. Rien qu'avec ce partage de 1701, on devine que Jean a réussi et devait, sans doute, faire partie des notables locaux.
C'est pourquoi l'expression "la petite boucherie" située Rue Droite m'a interpellée : elle ne devait pas être si petite que ça. Ou alors elle devait très bien rapporter vu le legs laissé par Jean à son décès !




1 commentaire:

  1. Quelle découverte, je viens moi aussi d'écrire un billet sur le testament de mon ancêtre qui me permet de mieux le connaitre. J'aurais aimé avoir un inventaire après décès comme celui-ci.
    J'aime bien comment tu racontes cela.

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