« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

Affichage des articles dont le libellé est Défi3mois. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Défi3mois. Afficher tous les articles

dimanche 17 juillet 2016

Défi 3 mois : la sœur missionnaire

Voici le dernier article du Défi trois quatre mois (le troisième mois étant entièrement occupé par le ChallengeAZ, j'ai joué les prolongations).
Parmi les nombreux documents conservés par ma grand-mère (dont nous avons déjà parlé dans les deux premiers articles du Défi 3 mois ici et ), il y a un épais tas de photos - 54 exactement. Certaines ont gardé l'éclat des premiers jours, d'autres ont été envahies par un halo de lumière qui a fait disparaître leurs bordures, quelques unes sont des photos-cartes postales, comme on en éditait autrefois. La plupart ont un verso vierge, mais quelques unes portent des inscriptions (imprimées ou manuscrites). Elles concernent toutes le même thème : l'Afrique. Ce qui est pour le moins étonnant car la famille de ma grand-mère est originaire d'une petite ferme des Deux-Sèvres (commune de Saint-Amand-sur-Sèvres) et la seule frontière qu'ils ont franchie est celle de la Vendée voisine... Alors l'Afrique !

On peut classer ces photos en trois catégories :
  • les photos de lieux.
  • les photos de la vie quotidienne des Africains.
  • les photos de missionnaires (prêtres et sœurs). 
Pourquoi toutes ces photos ? C'est une signature au dos d'une des photos qui me mets sur la piste : "votre Gaby sœur Andrée". Ma mémoire généalogique s'active aussitôt et me rappelle que la tante de ma grand-mère se prénommait Gabrielle. C'est la seule qui porte ce prénom dans son entourage familial. Vu le grand nombre de photos, je suppose qu'il s'agit de quelqu'un de proche; donc sans doute Gabrielle Clémentine Imelda, née en 1903 à Saint-Amand-sur-Sèvres. Une mention du livre d'or de la famille (voir article 1 du Défi 3 mois) nous confirme cette hypothèse : Gabrielle y est dite "Religieuse, supérieure du couvent après un long séjour en Côte d'Ivoire".
Une photo-carte postale montre un groupe de religieuses. Elle porte cette légende : "Petites Servantes du Sacré-Cœur, Missionnaires Catéchistes des Noirs (Maison de la Vierge), Menton (Alpes-Maritimes), Auxiliaires des Pères des Missions Africaines, 150 cours Gambetta, Lyon - La récréation dans le Parc." Et au verso : "Sœur Andrée de la Passion, maison de la Vierge, Menton (Alpes-Maritimes)".

Photo-carte postale des Petites Sœurs du Sacré-Cœur, non datée © coll. personnelle

Une petite croix sur l'une des sœurs nous permet de situer sœur Andrée et d'identifier son visage... enfin, de le distinguer.
Sœur Andrée de la Passion, non datée © coll. personnelle

L'ordre des Missionnaires Catéchistes du Sacré-Cœur a été fondé en 1922 par Alice et Marie-Thérèse Munet, et le Père Jean Chabert, Supérieur général de la Société des Missions Africaines, à Menton. C’est en soignant les tirailleurs Sénégalais à Menton pendant la guerre 1914-1918 que les deux jeunes filles ont leur premier contact avec l’Afrique et se dévouent pour eux. Après la guerre, elles décident de se consacrer à Dieu et à l’Afrique. L'Institut était appelé à l'origine "Missionnaires Catéchistes des Noirs d'Afrique".
Son objet était d'aider les Pères des Missions Africaines de Lyon dans leurs missions (la première mission avait été ouverte au Ghana en 1926). L'Institut est resté essentiellement missionnaire. Il est orienté vers l'évangélisation de l'Afrique, par la prière devant le Saint Sacrement pour le soutien de l’Église, et différentes activités apostoliques et sociales au service des Africains. Il comptait une vingtaine de maisons, réparties en Europe et en Afrique (Bénin et Togo); en France dans les Alpes-Maritimes, les Bouches-du-Rhône et les Yvelines. Il existe toujours.


Ces photos nous plongent dans l'Afrique coloniale des années 1930.


  • Les lieux :
Gabrielle, ou plutôt Sœur Andrée, a donc été envoyée en Côte d'Ivoire. 
Sur les clichés on voit Korogho (aujourd'hui Korhogo, quatrième ville de la Côte d'Ivoire, en termes de population et d'économie), située au Nord de la Côte d'Ivoire à 635 km d'Abidjan. En langue sénoufo, Korhogo signifie « héritage ». Plusieurs photos montrent des mosquées (dont une à Korogho), entourée de case en terre couverte de toiture végétale.
On voit aussi la mission de Kouto : créée en 1927 par des prêtres de la Société des missions africaines, la paroisse St Michel d’Archange de Kouto est l’une des plus anciennes du nord du pays, après Korhogo (1904). Elle est située à 115 km au Nord-Ouest de Korhogo.

Maison des pères à Kouto © coll. personnelle

Enfin, on voit aussi plusieurs lieux anonymes, mais dont les mentions du verso nous donnent quelques brèves indications : "un pont", des "cases d'habitation", le "rocher fétiche", "une cascade", "le marché de coton", "au marigot" et "un coin du village" :

Village ("à gauche une case fétiche, les autres sont des cases d'habitation") © coll. personnelle

  • la vie quotidienne :
Certaines de ces photos montrent des Africaines marchant le long d'une route portant du bois sur la tête, des paniers ou des jarres de terre cuite, des femmes posant "en costume de fête", un caïman, des hommes travaillant, le marché de coton, des scènes de danses et de joueurs de tam-tam, la construction d'une toiture... Une série est consacrée à la construction d'une route : défrichage, casseurs de pierres, transport de pierres, campement des travailleurs...
Plusieurs clichés montrent les costumes :

Enfants en costume traditionnel © coll. personnelle

Mention manuscrite au verso : "Costume national : quelques perles, 3 cm de toile et des rayons de soleil. Ils trouvent encore le moyen d'y loger de la coquetterie."

Jeunes gens en costume traditionnel © coll. personnelle

Mention manuscrite au verso : " Costumes de jeunes gens initiés à la société secrète. Dis, ne sont-ils pas jolis ?"

Femme en costume traditionnel © coll. personnelle

Mention manuscrite au verso : " Femmes d'un commerçant noir en costumes de fête."

Plusieurs clichés mentionnent le fétichisme : le fétichisme désigne, au sens propre, l'adoration des fétiches. Le terme provient étymologiquement de feitiço (« artificiel » puis « sortilège » par extension), nom donné par les Portugais aux objets du culte des populations d'Afrique durant leur colonisation de ce continent.
Outre la petite case fétiche (vue sur le cliché du village plus haut), on peut voir "le rocher fétiche" ou des fétichistes en costume (avec des masques de perles et entièrement recouvert de costumes de fillasse végétale).

Côte d'Ivoire, fétichistes © coll. personnelle
  • Les missionnaires :
Sur plusieurs photos on voit "le père Vion" : le père Étienne Vion, du diocèse de Poitiers, arrive en Afrique en 1920; il décède à Kouto en 1938 et est enterré à Korhogo. Il a bâti la grande église en briques de terre, bénie le 15 août 1923 par Monseigneur Diss (missionnaire en Côte-d'Ivoire en 1912-1938, préfet apostolique de Korhogo en 1921).

Missionnaires ("Mgr Diss assis, père Vion debout à droite") © coll. personnelle

On voit aussi les pères et les sœurs poser avec des Africains, devant une briqueterie ou au milieu des enfants.

Au dos d'une photo-carte postale sœur Andrée écrit à sa "bien chère maman". Le message est daté du 21 octobre 1936; ce qui nous précise la période de son séjour en Afrique.
Quelques cartes sont écrites : la plupart signalent simplement que ses proches restent dans ses prières. L'une précise sa préférence pour la Vierge, malgré le fait qu'elle "aime beaucoup la petite sainte Thérèse [de Lisieux, où sa tante est allée en pèlerinage]".
Mais sur une autre elle écrit : "Vous me demandez ce que je fais ? Je croyais vous l'avoir déjà dit : je soigne les malades, de 40 à 50 par jour. Sœur Sophie m'aide parfois. Notre palace n'est pas encore fini. Je crois bien que cela demande quelques jours. Le père Vion est en bonne santé : il est à Kouto ces jours-ci. Quel temps avez-vous ? Ici ce sont les tornades. [...] Je vous embrasse bien fort. Je ne vous" (le message s'arrête sur ces mots, la fin de la phrase étant sans doute sur une autre carte ou une lettre). C'est la seule fois où sœur Andrée donne des indications sur ses occupations de religieuse en Afrique.

J'ignore quand elle est arrivée exactement en Côte d'Ivoire. Une photo presque effacée représente un paquebot à quai : sans doute son moyen de transport, à l'arrivée ou au départ. J'ignore également quand elle est rentrée en France : une phrase au verso d'une carte postale mentionne la "photo prise le jour de notre départ" (mais elle ne précise pas la destination de ce voyage : est-ce son retour définitif ?). Toutefois, en début d'article nous avons vu qu'elle est devenue supérieure d'un couvent après son séjour en Afrique : elle est donc revenue en France; peut-être au couvent de Notre-Dame de Laghet (entre Nice et Menton), seule photo-carte postale qui ne concerne pas l'Afrique parmi toutes celles qui ont été conservées, ou à Menton directement ?

Son neveu se souvient d'une visite au couvent : "elle nous a reçu, nous avons déjeuné mais pas avec elle parce qu'elle ne pouvait pas, mais on a passé l'après-midi avec elle". Puis la mémoire familiale s'est refermée sur la fin de vie de sœur Andrée de la Passion. Elle est décédée en 1988 à Menton (06).

Pour la petite fermière Deux-Sévrienne, cette mission en Côte d'Ivoire a dû représenter un véritable dépaysement. Un "sacré voyage", si vous me permettez ce jeu de mot. Une autre vie, véritablement.

Retrouvez les autres épisodes :
Défi 3 mois : le livre d'or
Défi 3 mois : les papiers de famille



lundi 9 mai 2016

Défi 3 mois : les papiers de famille

Comme je le disais dans mon précédent article du Défi 3 mois ma grand-mère gardait tout. J'en ai déjà donné un bref aperçu dans ledit article. Mais dans les liasses de documents retrouvés chez elle il y avait aussi :
  • la carte SNCF "famille nombreuse" de sa grand-mère, qui lui faisait bénéficier de "30% de réduction sur les tarifs généraux".
Carte SNCF Adeline Roy © coll. personnelle

Je connaissais déjà son visage; Exactement celui-là, car cette photo d'identité est tiré d'une carte portrait que je possédais. J'avais aussi un exemplaire de sa signature de jeune fille où elle signait Adeline Bregeon et non Roy comme ici, avec son nom d'épouse. Née en 1875, Clémentine Adeline Bregeon a épousé Joseph Auguste Roy en 1899. Ils auront 5 enfants. L'adresse qui figure sur la carte est celle de sa fille (mon arrière-grand-mère), chez qui elle habitait alors. La carte SNCF a été établie en 1949, valable jusqu'au 9 mai 1953, selon le tampon appliqué sur la carte. Elle est décédée en août 1953, à 78 ans. C'était probablement sa dernière carte SNCF.
  • les cartes de communion solennelle : 
 Celle de ses filles :
Carte de Marie-Catherine (ma mère), 6/6/1957; de Nicole, 26/5/1960; 
de Chantal, 17/6/1962; de Nicole à nouveau © coll. personnelle

Celle de membres de sa famille (notamment celle de la tante Gabrielle, dont nous reparlons) et celles de personnes dont les noms ne m'évoquent rien. Certaines ne sont pas datées, d'autres si : elles vont de 1920 à 1943. Sauf une, beaucoup plus ancienne : elle est datée du 29 mai 1898 ! Elle porte le souvenir de la première communion d'un certain Robert Auguste-Nicolas faite en la chapelle du collège de St Malo le 29 mai 1898. Je n'ai pas réussi à le relier à notre famille. Je ne sais pas qui il est. Un tampon ajouté à postériori indique la date du 23 août 1937 : je ne sais pas à quoi il correspond.

Carte R. Auguste-Nicolas, recto-verso, 1898 © coll. personnelle
  • des bulletins de note de ses filles. Toutes autour de la table, nous triions les documents de feue ma grand-mère. Quand soudain nous trouvons deux bulletins de notes : l'un était celui de ma mère et l'autre celui de ma tante Nicole. Après avoir lu ses appréciations collégiennes, ma tante déchire le document, sans doute jugé inutile à présent. J'ai failli faire un malaise : et voici comment les archives familiales disparaissent - en direct. Heureusement, j'ai pu faire conserver celui de ma mère !
Bulletin de note de Marie-Catherine, 1959-1960 © coll. personnelle

L'année de 4ème au "collège moderne de jeunes filles d'Angers" a été un peu moyenne pour ma mère. Je suis étonnée de la voir si bonne en histoire (15/20), "absente" en mathématique (quoi : on pouvait être dispensée de math à l'époque ?). Je comprends pourquoi je suis si nulle en langue étrangère et en sport (ça doit être héréditaire). Heureusement ma mère avait une "conduite" exemplaire (16/20). La moyenne générale (10,76/20) et le rang (12ème sur 28) expliqua sans doute pourquoi qu'elle n'ait pas figuré au tableau d'honneur ! Ce qui ne l'empêchera pas d'être admise en 3ème. On devrait toujours pouvoir avoir accès au bulletin de ses parents quand on reçoit le sien... Après la 3ème ma mère change d'établissement (et de profs, enfin)... et ne quittera plus les têtes de classe. Comme quoi, il ne faut pas désespérer.
  • le dossier de sa carrière (ou plutôt quelques éléments de sa carrière, essentiellement des années 1946/1961) : de l'arrêté préfectoral de nomination au poste d'auxiliaire en 1946, en passant par des courriers administratifs de la SODEP (Société de Diffusion et d’Éditions Publicitaires) pour qui elle a fait quelques missions d'intérim (si vous me passez le terme anachronique) dans les années 1950, à la carte de visite de l'abbé directeur diocésain de l'enseignement du premier degré qui lui présente (outre ses sentiments dévoués) un poste d'institutrice remplaçante en 1960. Quelques bulletin de paye (vus dans le premier article du défi 3 mois). Un arrêté préfectoral acceptant la demande de congé maternité.
Arrêté préfectoral, 1946 © coll. personnelle

  • les dossiers de sa maison : dans les années 1960 elle et son mari font construire une maison. De nombreux documents rappellent ces travaux : un épais devis de 1961, une esquisse cotée de la barrière d'entrée, des courriers avec les artisans (peintre, vitrier, chauffagiste), des procès verbaux de réception des travaux.
  • quelques inattendus :
- Le livre d'or de la famille (voir article précédent du défi 3 mois).
- Des plaques de photos d'identité... avec de drôles de poses...
Christiane, 1941 © coll. personnelle

- L'abc de la femme pratique...
L'abc de la femme pratique - vacances, 1957 © coll. personnelle

Ce dernier est un fascicule d'une trentaine de page, expliquant quelques astuces pour passer de bonnes vacances : la construction d'un barbecue (avec foyer en maçonnerie !), des patrons de couture, des recettes de cuisine "minutée" pour passer le moins de temps possible aux fourneaux, des leçons de bricolage dont le montage d'une tente fabrication maison, le sport et la beauté et bien sûr les leçons de savoir-vivre. "La femme moderne" est vraiment moderne, jonglant entre le vilebrequin, la pratique de l'aviron, le poulet norvégien, sans oublier de servir à boire aux personnes âgées et enfants de la tablée ! Cette savoureuse leçon vous a été offerte par la revue Femina pratique (supplément au n°69) de 1957.
  • des photos de famille
Marie-Catherine et Nicole, 1949 © coll. personnelle

Voici ma mère et sa sœur Nicole, citée plus haut.

Les photos c'est bien (bon sauf pour ma mère qui ne va sans doute guère apprécier ce cliché avec nœud dans les cheveux...), mais il faut toujours les retourner, car le verso révèle parfois d’autres trésors :

- Un message émouvant
Si ce petit garçon se reconnaît, qu'il se manifeste : je ne connais pas son identité. Mais en tout cas, Christiane a bien gardé la photo, comme il l'avait souhaité.

- Une information inédite ?
André, 1944 © coll. personnelle

Au verso la mention : "André [mon grand-père] à un repas avec les prisonniers de guerre de retour en France 1944"... J'ignorais son passé de prisonnier de guerre. En fait pas du tout : après renseignements pris, il était dans l'intendance des armées pendant la guerre et devait assister à ce déjeuner à ce titre (organisateur ?). Comme quoi, il faut toujours tout vérifier.
C'est à cause de cette affectation qu'il est arrivé en Anjou et a rencontré ma grand-mère...


Et d'autres photos tout à fait particulières, qui feront l'objet du dernier article du Défi 3 mois.

Retrouvez les autres épisodes :
Défi 3 mois : le livre d'or
Défi 3 mois : la sœur missionnaire


mercredi 13 avril 2016

Défi 3 mois : le livre d'or

Le « défi 3 mois pour ma généalogie » a été lancé par la Gazette des ancêtres. Le principe : je me donne 3 mois pour travailler sur un thème particulier de ma généalogie. Or récemment, je viens d’hériter d’une masse importante de documents conservés par ma grand-mère maternelle. J’en avais repéré et mis de côté certains, d’autres sont arrivés dans mon carton par une main anonyme ; mais quoi qu’il en soit, difficile de résister. Alors, même si ce moment j’ai en un peu moins de temps à consacrer à la généalogie [1], je me lance…

Quand votre grand-mère garde tout, c’est qu’elle garde tout ! Les stylos qui ne fonctionnent plus, des emballages divers (vides), les montres et les horloges (dont aucune ne donne la même heure !)… Dans les papiers de famille qu’elle a conservé il y a aussi :
- des relevés bancaires des années 1960 (et même les enveloppes qui ont permis de les recevoir – pleines ou vides),
Avis de crédit, Banque Régionale Anjou-Vendée, 1963 © coll. personnelle

- des devis de la « nouvelle » maison (années 1690), les papiers relatifs au prêt bancaire permettant la construction de ladite maison, la correspondance avec les entrepreneurs, du maçon au chauffagiste,
- des déclarations d’impôts, des factures d’eau,
- des talons de chèque,
- des bulletins de paye,
Bulletins de paye, 1949, 1959, 1960 © coll. personnelle

- des reconnaissances de dettes (à sa sœur),

Reconnaissance de dette, 1961 © coll. personnelle

- les horaires SNCF (La Bourboule/Nantes, 624 kms, 5, 46 francs en première classe),
Horaires de trains © coll. personnelle

- les papiers divers et variés au dos desquelles elle faisait ses additions.

Mais il y a aussi les cartes postales écrites il y a 20, 30 puis 50 ans – d’abord celles des enfants, puis les générations suivantes : petits-enfants, arrière-petits-enfants. Les photographies, les cahiers de notes divers.

Elle écrivait beaucoup mamie. C’est ainsi que dans ses papiers nous avons retrouvé un livre. Il est recouvert d’une couverture de papier qui se déchire de tous côtés et n’est solidaire à l’ouvrage que par miracle. Si on l’enlève on découvre une couverture verte avec un arbre gravé en doré et l’inscription « livre d’or de la famille ».
Livre d'or de la famille © coll. personnelle

Daté de 1940, c’est un ouvrage pré-imprimé, une sorte de journal que tu peux remplir au fur à mesure. Sur la première page, une citation de Lamartine : « le souvenir c’est l’âme de la vie ».
L’avant-propos prévient : « L’auteur [H. Hermouet] ne présente pas ici une œuvre littéraire mais plutôt un guide dont le but est de faciliter la tenue d’un "livre de raison" moderne. […] Sa publication comblera le désir imprécis d’un grand nombre de personnes […] et permettra dans chaque famille de réunir [...] les renseignements concernant la vie familiale domestique ; d’établir, avec la généalogie des familles des deux époux, une nomenclature des ascendants, descendants et collatéraux ; de rappeler par des tableaux les anniversaires, fêtes, mariages […]. Excellente occasions de se retrouver nombreux et de favoriser les réunions familiales. ; de constituer des annales […] qui réserveront plus tard, au rédacteur, la satisfaction d’avoir écrit l’histoire de sa famille ; de léguer ce « mémorial » […] les générations suivantes […] se transmettant ce trésor de famille. »

C’est donc le « Livre d'or de la famille : Borrat-Michaud André et Gabard Christiane ; commencé le [2] 1er et 2 octobre 1945 ; adresse : 15 rue Michel de la Boulaye – Angers. »

Ière partie : tableau généalogique des ascendants directs
Une double page se déplie, laissant découvrir un arbre généalogique semi-circulaire de la famille de Monsieur Borrat-Michaud André ; il est partiellement rempli (parents et grands-parents, avec quelques erreurs de noms : Gay au lieu de Jay, Séraphine au lieu d’Antoinette Adélaïde – à moins que c’était son prénom d’usage ?).

Arbre Borrat, extrait du Livre d'or © coll. personnelle

Les feuillets suivants, consacré à la famille de Monsieur (père, mère, frères, belles-sœurs, neveux, souvenirs personnels du mari antérieurement aux fiançailles…) sont restés vides.

Plus loin, le modèle se reproduit pour Madame. Le tableau généalogique est davantage rempli.

Arbre Gabard, extrait du livre d'or © coll. personnelle

Sur les pages suivantes s’égrènent les dates de naissance, mariages et décès.
Curieusement, elle se trompe d’année dans les décès de son père et son grand-père paternels (à un an près) et carrément 4 ans pour son grand-père maternel (1918 au lieu de 1914).
Concernant son frère elle écrit :
« Daniel Gabard, né le 4 octobre 1941 à 8h30. Un samedi. Je suis sa marraine mais le jour de son baptême, malade, Renée [NDLR : sa sœur] m’a remplacée.
Varicelle le 1/7/1947.
14 mars 1948 communion privée (le menu est détaillé, jusqu’aux vins).
Porte des lunettes depuis la rentrée de 1947. »
Entre patronage et maladie sont mentionnés son mariage et la naissance de ses enfants et petits-enfants. Quelques notes complètent sa vie professionnelle ou ses déménagements.

La page consacrée à sa sœur Renée est similaire : naissance, « pleurésie jour de Noël 1942 », communion, vacances (où elle rencontre un certain Paul Barreau), fiançailles et mariage avec Paul le 12 avril 1950 (les menus du 11, du déjeuner et du dîner du 12 sont soigneusement consignés). Puis les naissances des générations suivantes.

Son autre sœur Michelle, ne fait l’objet d’aucune mention.

Par contre, les oncles, tantes, cousins et cousines sont recensés : noms, prénoms, mariages.

Elle n’a écrit qu’une seule page dans la catégorie Notes et souvenirs personnels de la femme antérieurement à ses fiançailles. Mais la petite histoire rejoint parfois la grande : « novembre 1943 entrée à la préfecture. Février 1943 départ de M. Blanchard (déporté en Allemagne). […] Mai 1943 bombardements d’Angers. » Quelques brèves notes sur ses changements de services. Puis : « avril 1ère sortie avec André Borrat aux Ponts de Cé. [...] 5 juin 1943 première sortie seule avec André. »

IIème partie : les fiançailles, le mariage, le journal des époux, les enfants
Les fiançailles d’André et Christiane ont eu lieu le 6 mai 1945. Ils demeuraient au 20 rue Leroy à Angers.
Les invités sont listés (en fait la famille proche), avant le détail du menu.

Menu fiançailles, extrait livre d'or © coll. personnelle

Les deux rubriques suivantes n’a pas été consignées : Le relevé des dépenses importantes pour l’établissement [des fiancés], journal des fiancés : date et circonstances de leur rencontre, fêtes, soirées, promenades, etc...
Le mariage civil a eu lieu le 1er octobre 1945 à la mairie d’Angers. Le mariage religieux le lendemain à l’église Saint Antoine. Les témoins étaient deux oncles des époux. Il y avait aussi 6 garçons et 6 demoiselles d'honneur. Et 92 invités ! Les menus du déjeuner et du dîner comportaient chacun une dizaine de plat, plus les vins, champagne et liqueurs.
Menus mariage, extrait livre d'or © coll. personnelle

Les cadeaux reçus, ainsi que leurs donateurs, ont été enregistrés : service de table, fer à repasser, ménagère en argent, bonbonnière, monnaie… et pas moins de trois services à café plus une douzaine de cuillères à café supplémentaires !

Dans le Journal des époux, 21 pages ont été noircies, relatant les événements de la vie, de 1945 à 2010 :
- voyages,
- vol des vélos,
- cadeaux donnés et reçus par les époux (souvent des vêtements),
- prédiction de la cartomancienne qui lui promet 4 enfants (elle en aura 5) dont 2 garçons (un seul finalement) dont une qui sera musicienne et un autre ingénieur, puis un départ au-delà des mers et un retour en France vers 59 ans. Une note postérieure a été ajoutée entre parenthèse : « quelle erreur » ! Et en effet… Ce qui ne l’empêche pas de continuer à aller revoir la cartomancienne régulièrement.
- maladies,
- augmentations ou diminution de salaire d’André (alors représentant de commerce),
- état de santé d’André qui connaît des périodes régulières de congés maladie suite à deux accidents en 1947 et 1949,
- achats d’électroménagers… et d’un ordinateur en 1998 !

Dans les années 1970/1990 la rédaction est plus brève : il s’agit surtout des mariages des enfants et des naissances des petits-enfants (dont certains ont été oubliés). A partir de 2004 elle redevient plus prolixe et reprends les petits événements de la vie (déménagements, maladies, visite des enfants…). Le 3 août 2005 une cousinade est organisée. « J’ai demandé pour chaque cousin ou cousine quel était leur nombre d’enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants : cela fait un total de 535 descendants directs de mes grands-parents qui se sont mariés en 1896 [NDLR : en 1892 en réalité - ce couple « originel » a eu 9 enfants]. Dans ce nombre je ne compte pas les conjoints et conjointes. Comme seulement 30 sont décédés, nous sommes encore 500 descendants vivants. »  

Viennent ensuite les pages dédiées aux enfants. La petite enfance de l’aînée (ma mère) est détaillée : premiers mots, premières dents, premiers pas…
Apparition des dents de Marie-Catherine, extrait livre d'or © coll. personnelle

Les descriptions des enfances des frères et sœurs sont beaucoup moins développées.

IIIème partie : les amis et relations, les adresses, les faire-part, les serviteurs
16 personnes et adresses sont signalées, dont 4 sont rayés (décès ?).
Entre 1947 et 1957 plusieurs visites chez des amis sont inscrites ; les menus y sont systématiquement précisés.
Les faire-part (enregistrements par ordre chronologique des naissances, mariages et décès) sont consciencieusement notés de 1945 à 1951.

IVème partie : mémorandum - partie destinée à être utilisée selon les idées et les attitudes personnelles de chacun ; elles pourront toutefois servir à noter les dates et des événements sensationnels (visite de personnalités, fêtes et réunions notoires, etc…), les renseignements divers (nom d’un médicament, titre d’un ouvrage, désignation d’une recette, etc…).
Seule deux mentions sur les deux premiers baptêmes des deux aînées sont notées.
Suit un tableau (un mois par page) où l’on peut indiquer les anniversaires que l’on souhaite ne pas oublier.

Finalement, ce livre d'or a parfaitement rempli son office : garder en mémoire ces moments de l'existence, sur plusieurs générations. Ces petits rien qui font la vie. Et qui s'oublient si vite avec le temps. Un de ces documents appartenant à sa trisaïeule (ou autre) qu'on rêve de compulser. Aujourd'hui toutes les personnes nommées dans l'ouvrage nous sont connues, mais dans quelques temps ?
Que deviendra ce livre après moi ? Objet usuel pour ma grand-mère, à partir de quand deviendra-t-il une "archive" ? Est-ce que dans quatre ou cinq générations, un(e) passionné(e) de généalogie le trouvera dans un grenier et le verra comme un trésor ? Je l'espère en tout cas.
Un tout petit rien. Une grande richesse.

Retrouvez les autres épisodes :
Défi 3 mois : les papiers de famille
Défi 3 mois : la sœur missionnaire 
 

[1] A cause de la création de mon entreprise Chemin d’émail !
[2] Les éléments en italiques sont pré-imprimés, le reste a été rempli par ma grand-mère.