« Un soir, sur un chemin familier qui m’est cher, en mettant mes pas dans les pas de ceux qui m’ont précédé sur cette terre, j’ai senti frissonner l’arbre du silence. […] Il n’y avait plus de vent, rien ne bougeait, tout était apaisé, et pourtant j’ai entendu comme un murmure. J’ai eu l’impression - la conviction ? - qu’il provenait de l’arbre dont nous sommes issus : celui de nos familles, dont les branches sont innombrables et dont les feuilles frissonnent au plus profond de nous. Autant de feuilles, autant de voix vers lesquelles il faut se pencher pour bien les entendre, leur accorder l’attention nécessaire à la perception d’un silence qui, en réalité, n’en est pas un et ne demande qu’à être écouté. Je sais aujourd’hui que ce murmure a le pouvoir de donner un sens à notre existence, de prolonger la vie de ceux auxquels nous devons la nôtre, car ils nous habitent intimement. »

- Christian Signol, Ils rêvaient des dimanches

vendredi 12 septembre 2014

Marions-nous ! épisode n°3

Après avoir trouvé son/sa fiancé(e), il faut s'assurer de différentes éléments avant de se marier véritablement.

Avant tout, il convient de ne pas épouser un trop proche parent. Cela ne se fait pas. Malgré tout il arrive que des cousins tombent amoureux. Mais il y a "cousin" et "cousin". Si l'idée de s'épouser entre cousins germains est peu fréquente, cela se complique avec des parents de la troisième ou quatrième génération. En effet, en particulier dans les campagnes où les bassins de population sont restreints et où il y a peu de brassage, on finit toujours par tomber sur un membre de sa famille, plus ou moins lointaine. Et l’Église réprouve le mariage entre trop proches parents. Elle peut néanmoins faire des exceptions et accorder des autorisations spéciales : ce sont les dispenses de consanguinité.

Un dossier complet est alors nécessaire : 
  • par le biais du curé de la paroisse, les fiancés adresse une "supplique", comprenant leurs noms, prénoms, professions, domiciles et un tableau de cousinage où figurent les ascendants de la lignée menant à l'ancêtre commun.
  • l'enquête qui suit et comporte les témoignages des futurs époux, de deux témoins de la famille et de deux témoins pris en dehors de la famille.
  • et enfin l’accord de l’Église.
Le droit canon compte les générations en nombre de degrés jusqu'à l'ancêtre commun, comme suit :
  • des parents au deuxième degré de consanguinité sont cousins germains (enfants d'un frère et d'une sœur).
  • des parents au troisième degré de consanguinité sont cousins issus de germains (petits-enfants d'un frère et d'une sœur).
  • des parents au quatrième degré de consanguinité sont enfants de cousins issus de germains (enfants des petits-enfants d'un frère et d'une sœur).
Les fiancés peuvent aussi être parents au troisième et quatrième degré de consanguinité (donc avec une génération de décalage), c'est-à-dire  que l'arrière grand-père de l'un aurait été le frère de la grand-mère de l'autre (par exemple).
La dispense de consanguinité est nécessaire jusqu'au quatrième degré inclus. Elle est attribuée par l'évêque pour les troisième et quatrième degrés, mais par le Pape uniquement pour le deuxième degré.

Dans les papiers hérités des recherches généalogiques effectués par les membres de ma famille [ * ], j'ai retrouvé cet extrait, qui est de toute évidence le tableau de cousinage des suppliants :


Extrait de dossier de consanguinité, AD 01 
  
François robin
Joseph robin              1        claude robin
François robin                2        antoinette robin
Claude joseph robin     3       benoiste cochet
Marie françoise robin       4       jean françois prost
Supliante                                             supliant


Sur ces dispositions il nous a paru, quil y a entre eux un empechement de consanguinite au quatrieme egal degre de tout quoy Nous avons dresse le present proces verbal pour ycelluy être renvoye a monseigneur leveque de saint claude pour être ordonne ce quil apartiendrat fait a martignat les jour et an que dessus en foy de quoy nous avons signe avec les temoins
J Fornier commis


J'ai bien retrouvé cette même filiation, en effet :


Extrait arbre Robin/Prost

Marie Françoise Robin a bien épousé Jean François Prost le 5 juillet 1768 à Martignat (01). Comme le précise (systématiquement dans ce genre de cas) l'acte de mariage, le curé a donné "la bénédiction nuptialle [les fiancés]  ayant obtenu dispense du quatrieme égal degré de consanguinité [...] signée par monseigneur l'eveque".

Toujours pour lutter contre les unions consanguines, on fait publier les bans. Il n'est alors plus possible de convoler dans la clandestinité.

La publication des bans de mariage n'est pas une invention républicaine. Elle existait bien avant l'instauration du mariage civil, déjà dans la tradition chrétienne, où elle remonte aux conciles de Latran (en 1215) et de Trente (en 1563) qui ont fait obligation de la publication des bans avant la cérémonie. 

Les bans sont une annonce publique, triple en principe, d'un mariage futur au prône dominical, par voie d'affiche à la porte de l'église, afin que toute personne connaissant un empêchement au mariage le fasse savoir.
 
Le droit civil français a aussi rendu la publication des bans obligatoire. La publication est affichée sur un panneau officiel dans chacun des lieux où résident les futurs époux. Elle doit l'être au moins dix jours précédant la date du mariage pour que la cérémonie puisse être célébrée.

On trouve ainsi dans certains registres paroissiaux ou d'état civil ces publications qui annoncent le mariage.


Extrait registre d'Angers (paroisse Saint Martin) de 1627, AD 49

Fiançailles :
Le vingt et deuziesme jour de juin juillet mil  six cens vingt & sept furent fiancés Jehan De la Lande fils de deffunt pierre de la Lande et de mathurine poitevain paroissiens de la paroisse de brain sur lauthion et jacquine Pinot de cette paroisse

Bans : 
Le premier ban public le dimanche vingt & cinquiesme ledit mois & an Le secont et troiziesme les dimanches premier & huictiesme aout en suivant 

Mariage : 
Et le vingt & uniesme jour de septembre mil six cent vingt & sept avec le certificat de noces [ ?] le vicaire de ladite paroisse de brain du troiziesme aout mil seix cent vingt et et sept signe berthelot jay administré le Saint sacrement du mariage auxdits de la Lande & pinot present honorables hommes jehan Coulleau marchand & jehan [] michel & urban buaud chirurgien

Avec un peu d'attention, on remarquera que les deux époux ont signé l'acte de mariage.

En résumé, le/la fiancé(e) est trouvé(e), la dot est négociée et constituée, les papiers nécessaires réunis et publiés... il ne reste plus qu'à se marier !


[ * ] Merci Bernadette !
 

vendredi 5 septembre 2014

Marions-nous ! épisode n°2

Suite de notre épopée sur le mariage (cliquez ici pour voir l'épisode n°1).

Les  familles ne s'opposent pas au mariage. C'est déjà une bonne chose. Mais cela ne signifie pas qu'on est déjà marié : plusieurs étapes sont encore nécessaires. 

Et la première étape est la négociation de la dot. En effet, même si ce n'est pas obligatoire ni systématique, il est néanmoins "de coutume" de "constituer dotte et mariage aux marys affin que les charges et facultés d’icelluy se puissent plus commodement et facilement supporter". 

Si les négociations restent secrètes et obscures, le résultat en est tout à fait officiel, légitimé devant notaire et témoins. Ce contrat est rédigé dans l'étude du notaire ou à défaut dans la maison du futur beau-père.

 Photopin

Cela se fait la plupart du temps avant la noce, mais on connaît quelques exceptions; comme François Jannay et Andréanne Buffard qui font rédiger leur contrat de mariage en juin 1710 à Lalleyriat (01) alors qu'ils sont mariés depuis le mois de janvier.

La dot peut se composer de biens et/ou d'argent, parfois de terres. 

A travers la dot on devine le niveau social des protagonistes. Ainsi, si on prend en compte les sommes d'argent :
  • Louise Marie Levrat ne reçoit que 30 livres lors de son mariage avec Jean Claude Simon en 1720 à Saint Germain de Joux (01).
  • A l'inverse le couple  Joseph Anthoine et Jeanne Françoise Denarie, mariés en 1731 à Morillon (74), reçoivent au total 1 350 livres. Dans ce total sont compris les 100 livres que le futur donne à sa fiancée "offert par marque d'amour", comme il est précisé dans le contrat de mariage.

Souvent du bétail est donné : un vache, une chèvre, une brebis (parfois accompagnée de son ou ses agneaux).

S'y ajoute, le "trossel" : le linge et vêtements donné à la jeune fille. Souvent on voit au moins un habit de drap. Parfois des chemises ou chemisettes. Selon les contrats de mariage on a plus ou moins de détails sur la nature des tissus : ainsi j'ai rencontré des chemisettes de ratine rouge (étoffe de laine ou drap croisé dont le poil est tiré en dehors et frisé de manière à former comme de petits grains), de ritte (toile fine de chanvre), un cotillon de sarge (tissu de laine). En général l'un de ces habits neufs tient lieu de robe nuptiale. Les vêtements sont souvent complété par du linge : quelques aunes de toiles, serviettes, linceuls (draps) et couvertes (couvertures). Et très souvent "un tour de lict de toisle [plus ou moins] ouvragé avec ses franges".

En Haute-Savoie les vêtements et linges sont souvent minutieusement décrits : on admire ainsi le trossel de Louise Françoise Vulliez (1755 à Samöens - 74) composé de "une demy douzaine de drapts de toile meslée de trois aulnes piece, une douzaine et demy de chemise de femme de toile de ritte presque nouvel six tabliers dindienne, et douzaine dautres tabliers de toile de ritte, une douzaine de mouchoirs tant de soÿe que de mousseline, trois douzaines de Coëffes tant dans la toile fine que de ritte, trois habits neufs complets de droguet dangleterre, cinq corps bas de drapt de couleur avec leur juppes a tiers usés, une paire de manche de ratine minime presque neuve, un tour a filer et un coffre bois de sapin fermant a clef dans lequel sont renfermés tous les autre menus linges et habits quotidiens".

Extrait contrat de mariage Moccand / Vulliez, 1755, AD74

La plupart du temps vêtements et linges sont en effet sont réunis dans un "coffre de bois sappin fermant à clef" (parfois en tilleul ou noyer). Certain de ces coffres étaient de véritables objets d'art, sculptés de différents motifs (soleils, rosaces...) et portaient souvent la date et les initiales de l'épousée. 

Plus rarement il y a des éléments de vaisselle ou de mobilier : chaudron de cuivre, pot d'étain, poêle à frire. Personnellement je n'en ai pas encore rencontré. Par contre j'ai plusieurs tours à filer.

De temps en temps, il y a des "joyaux". Louise Françoise Vulliez (toujours elle) reçoit "une croix dor avec une bague dor a pierres fines". Marie Landreau reçoit des bagues, joyeux et ornements estimés à 40 livres (1756 aux Epesses - 85).

Dans deux cas seulement il est question d'immeubles ou de terres :
  • il "a été convenu que lesdits pierre soullard et marie landreau, entreront en communauté de [] biens meubles et immeubles" que forment déjà Mathurin Landreau et Perrine Grimaud, les parents du futur, et son frère également prénommé Mathurin; Lesdits parents Soullard et Grimaud pour une moitié entière a eux deux, ledit Mathurin Soullard fils pour un quart, le dernier quart au nouveau couple Soullard/Landreau.
  • les parents de Jeanne Antoinette Vuagnat donnent au couple un grangeage [ * ] en toute propriété et tous les droits et titres présents et à venir (1716 à Samoëns - 74).  Le futur couple Vuagnat/Guilliot est par ailleurs institué héritier universel des parents de Jeanne Antoinette à condition qu'ils règlent leurs frais funéraires aux décès desdits parents, qu'ils dotent les sœurs de Jeanne, et qu'ils payent à Claude son frère la somme de 200 florins (monnaie de Savoie; soit 150 livres tournois) après le décès de leur père, attendu que Claude "n'a pas assisté ny secouru ledit nicolas vuagnat son père ayant toujours resté dans les païs estrangers [...] moyennant quoy il dejette sondit fils de tous ses biens quelconques". Enfin, le couple Guilliot/Vuagnat sera "aussy obligé d'entretenir honnestement et raisonnablement lesdits maries vuagnat et simond pendant leur vie et les serviront comme est de devoir en semblable fait avec obeissance respect et affection".

Enfin, les échéances du règlement sont définies scrupuleusement : tant au jour des noces, tant, six mois après, un an après, à la Toussaint prochaine, au décès des parents... Parfois, il est précisé que si l'épouse meurt sans enfant, la somme promise ira aux enfants du premier lit de l'époux (contrat de Pierre Monet et Catherine Poncet, en 1715 à Martignat - 01) ou à l'époux survivant (contrat de Nicolas Guilliot et Jeanne Antoinette Vuagnat en 1716 à Samoëns - 74).

Bref, bien peu de choses sont laissées au hasard. Mais maintenant que tout cela est réglé, on peu passer à l'étape suivante...



[ * ] Manière de donner une terre à bail, en prenant pour la rente moitié des fruits. Synonyme de métayage. 

dimanche 31 août 2014

#Centenaire1418 pas à pas : août 1914

Suite du parcours de Jean François Borrat-Michaud : tous les tweets du mois d'août sont réunis ici. 

Ne disposant, comme unique source directe, que de sa fiche matricule militaire, j'ai dû trouver d'autres sources pour raconter sa vie avant son entrée dans le conflit. Ne pouvant citer ces sources sur Twitter, elles sont ici précisées en notes. Les photos sont là pour illustrer le propos; elles ne concernent pas directement Jean François.

Toutes les personnes nommées dans les tweets ont réellement existé.
___ 

1er août :

- Papa a acheté l'Indicateur de la Savoie, ce journal catholique qui paraît le samedi. En une : aurons-nous la guerre ?

Indicateur de la Savoie, 1er août 1914 - Mémoire et actualité en Rhône-Alpes

- Bon, la confiance envers les chefs, c'est bien, mais si on n'a pas d'chaussure . . .  

- Le Petit Journal est plus pessimiste et pense que le sort en est jeté (via @geneanet).

- Qu’est-ce que c’est ? Mais c’est le tocsin qui sonne ?!



- Tous, hommes et femmes nous avons été surpris en pleines moissons. Nous sommes restés longtemps figés.

- Les travaux sont finis pour aujourd'hui. Nous nous dirigeons vers le Gros Tilleul, lieu de rassemblement, en silence.

- MOBILISATION GENERALE !!!
Ordre de mobilisation générale, Gallica
2 août :

- Les premiers mobilisés se regroupent. Ils arrivent souvent avec leurs plus beaux atours : canotiers et habits du dimanche.

- Des gars sont heureux de partir : on entend des cris, des chants joyeux. D’autres sont abattus. Des femmes pleurent.

3 août :

- Cette fois c’est fait : L’Allemagne déclare la guerre à la France.

- Certains fanfaronnent et n'ont qu'un seul désir : se mesurer avec l'adversaire. Ils disent qu’en quelques semaines, tout sera réglé.

- Tous ne partagent pas cet avis. Beaucoup d’hommes sont silencieux, frappés de stupeur. La paix, on y croyait encore malgré tout.

4 août :

- Pour moi commence l’attente : je ne fais pas partie des premiers convois. Ma classe n’est mobilisable qu’en octobre.

- Mon petit frère Armand caracole autour de la table de la cuzna [cuisine] en jouant à la guerre.

- Il dit qu’il veut partir lui aussi. Ma sœur Marie Louise lui met une taloche et sort en pleurant. 

5 août : 

- La guerre, la guerre, la guerre. Russie, France, Belgique, Angleterre… : la liste s’allonge indéfiniment. 

- Le temps est lourd, lent, sans vent et sans bruit, étouffant de chaleur et de vide [ 1 ], mais la météo n’y est pas pour grand-chose.

- Avez-vous entendu le discours de Viviani, Président du Conseil ? "Soyons des hommes" dit-il !

Discours de Viviani, Gallica 

6 août :


- La montagne s’est vidée de ses hommes. Une même question revient, obsédante et sans réponse : Qui va finir la moisson ? [ 1 ] 

- Avec la réquisition des animaux de trait, qui va labourer en octobre, si toutefois la guerre n’est pas encore gagnée et terminée ? 

- Viviani fait un appel aux femmes en leur demandant de terminer les récoltes et de préparer les semailles d’automne. 

Appel aux femmes françaises, Wikipedia

7 août :
- Je retrouve mes copains, les jumeaux Jay, Joseph et Alphonse. Il paraît qu’on est cousins [ 2 ]. En tout cas, on fait les 400 coups ensemble.

- On est de la même classe et on se demande bien où on va être envoyé. 

8 août :

- D’après le Petit Journal, les nouvelles ont l’air plutôt bonnes. En tout cas, encourageantes.

- Joseph dit qu’il ne faut pas se fier à la presse parce qu’ils ne racontent pas tout.

- Sous le Gros Tilleul, on hésite entre espoir, incrédulité, abattement et inquiétude. 

9 août :

- C’est comment la guerre ?

- J’essaie de me souvenir de ce qu’on m’a dit de mon arrière-grand-père, Jean Maurice, soldat valaisan au service de l’empereur Napoléon.

- Je frissonne, d’impatience et de peur mêlée. 

10 août :

- Les jumeaux et moi faisons partie des plus âgés maintenant. Les journées sont longues.

- Nous sommes en effet sollicités régulièrement pour aider à finir les moissons, de fermes en fermes.

 11 août :

- Parfois je m’arrête en pleine besogne et regarde autour de moi, ces si belles montagnes à l’avenir incertain. Qu’adviendra-t-il demain ? 

12 août :

- La liste des nations en guerre ne cesse de s’allonger chaque jour.

- C’est la fin de la grande mobilisation semble-t-il. De toute façon, il n’y a plus d’homme à prendre. Ils y sont déjà tous.

13 août :

- Certaines de nos parcelles sont si inclinées, qu’on dit chez nous qu’il faudrait ferrer les poules !

Samoëns - La Rosière, Delcampe

- Les travaux agricoles sont parfois pénibles ici. Mais comment peut-on les faire sans homme ? 

14 août : 

- Je ne peux m’empêcher de ressortir mes papiers militaires suite à la commission du mois de juin.

- Je suis inscrit sous le numéro 3 de la liste du canton de Samoëns. Je n’ai plus qu’à attendre mon ordre de mobilisation. 

15 août :

- De retour du pèlerinage à la Bénite Fontaine. Les prières à Marie ont été particulièrement ferventes cette année.

 
Chapelle de la Bénite Fontaine, notrefamille.com

- Serai-je encore là pour y aller l’année prochaine aussi ? 

16 août :

- L’attente… L’attente… Je préférerais presque partir tout de suite. Attendre sans savoir c’est trop difficile.

17 août :

- Certains épiciers sans vergogne vendent le kilo de riz 80 cts, au lieu des 50cts habituels, et le sucre jusqu’à 1 fc 25 ! Quelle honte ! [ 3 ]

18 août :

- Mon père est trop âgé, mon frère est trop jeune : je serai le seul de la famille à partir... 

19 août :

- Suite à la mobilisation, de nombreux commerces ferment : boulangers, bouchers et autres sont au front. 

20 août :

- Les ouvriers âgés sans emploi et les familles privées de leur gagne-pain grossissent chaque jour un peu plus la population des nécessiteux. [ 4 ] 


21 août :

- La municipalité ouvre des boulangeries et des fourneaux économiques pour distribuer pain et repas aux plus démunis. [ 4 ] 

22 août :

- Les femmes de la paroisse organisent une collecte pour les premiers blessés de guerre : vêtements, pansements, dons en argent… [ 5 ]

23 août :

- Le Préfet de Haute-Savoie fait savoir que, par ordre ministériel, l’ouverture de la chasse n’aura pas lieu cette année jusqu’à nouvel ordre. [ 6 ]

- On ne le sait pas encore, mais hier c’était la journée la plus sanglante de la guerre : 27 000 morts. 

24 août :

- Le Japon a rejoint le cortège des nations en guerre. Est-ce que ce conflit est réellement en train de devenir mondial ? 

25 août :

- D’après ce qui se dit, on sera mobilisé avant octobre. Avec les jumeaux Jay, on attend, fébriles et inquiets. 

26 août 

- Les dépêches officielles sont optimistes : tout va bien. D’aucuns disent qu’il faut savoir lire entre les lignes. [ 7 ]

- Savoir dépister l’euphémisme révélateur d’un insuccès sous le flot des louanges dithyrambiques pour nos succès. [ 7 ]

- On nous bourre le crâne à longueur de journaux sur les atrocités allemandes : cela évite de parler de nos revers de fortune. [ 7 ]

- Viviani démissionne ! 

27 août :

- Encore un mort dans la commune. Cette fois c’est Victor Dechavassine. Il n’avait que 26 ans.

- Alors c’est lui ? C’est le maire qui est le porteur de mauvaises nouvelles, le briseur de vies.

- Accompagné de deux gendarmes, sombres comme des corbeaux, oiseaux de mauvais augure. Chacun prie pour qu’ils ne frappent pas à sa porte.

28 août :

- Cette fois c’est sûr : au lieu de partir en octobre comme c’était prévu officiellement, on partira dès début septembre. 

29 août : [ 7 ]

- Les grandes batailles de la fin août sont un échec. Il ne faut plus en douter : c’est l’invasion. La tristesse se répand sur la vallée.

- Les plus confiants se raccrochent aux affabulations officielles, mais la plupart n’y croient déjà plus.

30 août :

- Avec les jumeaux Jay on regarde la carte à la recherche de localités inconnues de nous et qui sont synonymes de mort et de destruction.

- Morhange, Charleroi, Tamines, Rossignol, Mons, Le Cateau, Guise 

31 août :

- Agitation autour du marchand de journaux aujourd’hui. C’est officiel : le Ministre de la Guerre appelle la classe 14 !

Extrait du Petit Journal du samedi 31 août 1914, Gallica

- Quel sera mon avenir ? ...



[ 1 ] Extrait de la revue Terrain via le blog derdesders
[ 2 ] En fait ils sont bien "cousins", mais il faut atteindre 7 générations pour avoir un ancêtre commun. Les jumeaux Jay ont bien vécu à Samoëns, mais on ignore s'ils étaient amis avec Jean François.
[ 3 ] Tarifs donnés dans un article du Progrès de la Savoie du 5 août 1914, via "La Première Guerre Mondiale vue à travers la presse savoyarde" (AD73)
[ 4 ] Toulouse et la guerre, AM Toulouse 
[ 5 ] C'est la Ligue des femmes françaises de Haute-Savoie qui organise cette collecte, in l’Indicateur de la Savoie du 22/8/1914
[ 6 ] L’Indicateur de la Savoie du 22/8/1914 
[ 7 ] Inspiré de L. Jouhaud : souvenirs de guerre